Critique – Agatha Christie: Death on the Nile

Titre:  Agatha Christie – Death on the Nile

Développeurs : Microid Studio Lyon

Éditeurs : Microid

Genre : Aventure - enquête 

Plateformes : PS5, Xbox Series, PC, Switch l

Prix : 53,49 $


L’élégance du crime, la lenteur de l’enquête.

Rares sont les romans aussi emblématiques que Mort sur le Nil. Écrit par Agatha Christie en 1937, ce huis clos flottant sur les eaux brûlantes de l’Égypte est devenu un classique du mystère, où chaque regard cache un mensonge et chaque sourire une menace. Adapter cette œuvre en jeu vidéo n’est pas un exercice nouveau, mais Microids, après Murder on the Orient Express, remet le couvert avec Agatha Christie – Death on the Nile sur PS5, Xbox Series, Nintendo Switch et PC.

L’objectif : moderniser l’univers tout en respectant l’esprit de l’autrice. Un pari risqué, mais le studio français s’en sort avec une élégance certaine, malgré quelques faux pas sur le pont du Karnak.

Un retour au Nil… version seventies

Premier choc visuel : le jeu abandonne l’époque coloniale des années 1930 pour un décor inspiré des années 1970. Un choix audacieux, mais payant. Cette transposition permet de dépoussiérer le mythe tout en conservant une esthétique soignée : des robes chatoyantes, des costumes cintrés, et une bande sonore jazzy aux teintes orientales.

On retrouve Hercule Poirot, fidèle à lui-même — calme, méthodique, et toujours prêt à aligner ses fameuses “petites cellules grises”. À ses côtés, une nouvelle venue : Jane Royce, jeune enquêtrice déterminée, dont le regard plus moderne permet de revisiter l’affaire sous un angle différent. L’alternance entre ces deux personnages, chacun menant sa propre investigation, structure le récit avec habileté. L’histoire s’éclaire peu à peu à travers leurs perspectives croisées, jusqu’à une révélation finale qui, bien que fidèle à l’esprit d’Agatha Christie, parvient encore à surprendre.

Un gameplay d’enquête moderne et immersif

Microids s’éloigne ici du simple point-and-click pour proposer un gameplay d’investigation plus organique. Exploration d’environnements, collecte d’indices, déduction dans des cartes mentales et dialogues à choix multiples rythment la progression.

Le joueur doit réellement incarner Poirot ou Jane, observer les comportements, confronter les suspects, et relier les indices avec logique. Chaque pièce du bateau devient un micro-théâtre où se joue une tension feutrée : un regard trop appuyé, un bijou déplacé, une phrase prononcée à contretemps.

La structure rappelle parfois Sherlock Holmes: Chapter One ou The Sinking City, mais sans tomber dans la lourdeur. L’interface est claire, les interactions fluides, et les énigmes, sans être insurmontables, demandent une vraie attention. Pas de solutions trop faciles ici : on doit mériter chaque conclusion, ce qui renforce le sentiment d’être un vrai détective.

Une direction artistique séduisante mais inégale

Le travail visuel de Microids Studio Lyon mérite des applaudissements pour son souci du détail. Les décors du Nil, le pont du bateau, les chambres luxueuses et les panoramas désertiques dégagent une chaleur et une atmosphère dépaysante. La lumière du crépuscule se reflétant sur le fleuve ou les lanternes qui dansent sur le ponton créent des images d’une beauté rare.

Malheureusement, tout cela cohabite avec des animations parfois datées. Les visages manquent de vie, les expressions sont rigides, et certaines scènes de dialogue souffrent d’un lip-sync imprécis. Cela n’empêche pas l’immersion, mais rappelle qu’on est encore dans la production “AA” plutôt que dans le haut du panier technique.

Heureusement, la mise en scène compense par sa sobriété : le jeu ne cherche pas l’esbroufe, mais préfère laisser la narration et les personnages occuper le devant de la scène. Et à ce niveau, la magie opère souvent.

Des personnages en clair-obscur

Là où le jeu brille vraiment, c’est dans son écriture. Chaque passager du bateau est une énigme ambulante : un couple en apparence parfait, une héritière trop charmante pour être sincère, un majordome obséquieux, une amie d’enfance à la jalousie dissimulée… Tous ont leurs secrets, leurs failles, leurs mensonges.

Poirot, fidèle à sa réputation, dissèque ces âmes comme un chirurgien du doute. Jane, de son côté, incarne une touche plus humaine, presque empathique. Là où Poirot analyse, Jane ressent. Ce duo fonctionne étonnamment bien et donne un rythme intéressant à l’enquête.

Le doublage (notamment en anglais) est convaincant, et la version française s’en sort honorablement, même si certains accents frôlent parfois la caricature. Les dialogues sont nombreux, mais jamais inutiles — chaque mot peut devenir une pièce du puzzle.

Le rythme du Nil : parfois trop tranquille

Si l’ambiance et le scénario sont captivants, le rythme reste inégal. Le jeu prend son temps, parfois un peu trop. Certaines séquences d’exploration manquent de dynamisme, et les allers-retours sur le bateau cassent la tension dramatique.

Il y a aussi quelques énigmes accessoires (comme la réparation d’objets ou des mini-puzzles répétitifs) qui nuisent à l’élan narratif. Ce ne sont pas des défauts majeurs, mais ils ralentissent une intrigue qui aurait gagné à être un peu plus resserrée.

De plus, l’alternance entre les deux protagonistes, si elle enrichit la perspective, coupe parfois le rythme émotionnel. On est pris dans une scène clé avec Poirot, puis hop — changement de décor, de ton, de personnage. Ce découpage, certes intelligent, manque parfois de fluidité.

Une enquête à savourer une fois

Comme souvent avec les jeux d’enquête, Death on the Nile souffre d’une faible rejouabilité. Une fois le mystère résolu, la magie du “qui a tué qui” s’évanouit. On peut rejouer pour perfectionner certaines déductions ou découvrir quelques dialogues alternatifs, mais l’essentiel du plaisir vient de la première expérience.

Cependant, pour une quinzaine d’heures de jeu, l’aventure reste satisfaisante. On s’attache aux personnages, on savoure les décors, on se laisse emporter par le parfum du crime et la mélancolie du Nil. Le jeu remplit donc parfaitement son rôle : offrir une expérience narrative immersive et respectueuse du mythe.

Focus Final

Agatha Christie – Death on the Nile n’est pas une révolution, mais une réussite d’atmosphère et de respect littéraire. C’est une aventure posée, élégante, et parfois un peu figée — comme une photographie sépia d’un crime qu’on contemple autant qu’on résout.

Les amateurs de mystère y trouveront leur compte, tandis que ceux en quête d’action ou de spectaculaire risquent d’y voir une croisière un peu trop tranquille.



+ Ambiance années 70 superbe et immersive

+ Écriture soignée, personnages crédibles

+ Gameplay d’enquête bien pensé, logique et satisfaisant




- Animations datées, lip-sync parfois raté

- Rythme lent et quelques passages un peu vides

- Rejouabilité limitée après la première enquête

Un jeu d’enquête élégant et intelligent, qui préfère le calme du Nil aux tempêtes du spectaculaire. À savourer comme un bon roman… lentement, un verre à la main.

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